La crise du Covid-19 : le miroir grossissant des conditions de travail des auxiliaires de vie
En 2019, nous avons lancé l’Indice d’Alignement Humain. Cet outil se matérialise sous la forme d’un questionnaire de 36 questions dont le but est de mesurer l’alignement des conditions de travail avec la dimension intrinsèquement humaine du métier d’auxiliaire de vie. Pour construire cet indice, nous nous sommes inspirés de l’École des Relations Humaines et plus particulièrement de la hiérarchie des besoins fondamentaux théorisée par Maslow.
La crise sanitaire a un fort impact sur la vie personnelle et professionnelle de chacun d’entre nous. Les auxiliaires de vie, en permettant le maintien des personnes âgées à leur domicile, sont en première ligne face au Covid-19. Dans ce contexte, nous avons souhaité réadapter l’Indice d’Alignement Humain à cette situation sans précédent à travers la création d’un nouveau questionnaire de 16 questions. Comment la crise sanitaire impacte-elle la satisfaction des besoins fondamentaux des auxiliaires de vie ? Nous avons construit cette enquête en rédigeant entre 2 et 4 questions par besoin : physiologique, de sécurité, d’appartenance, de reconnaissance et d’accomplissement. Nous avons choisi, à la fin du questionnaire, de poser une question ouverte aux auxiliaires afin qu’ils puissent nous livrer leurs témoignages à propos de la façon dont le Covid-19 a impacté la pratique de leur métier.
Cette enquête a été réalisée par Alenvi et a été portée par le collectif L’Humain d’Abord. Nous avons administré ce questionnaire à des auxiliaires de vie via le réseau social Facebook. Il a circulé du 9 au 16 avril 2020, et nous avons obtenu 1109 réponses.
Voici les principaux résultats et enseignements de cette enquête.
Face à la crise, les auxiliaires de vie souffrent car ne se sentent pas en sécurité
La première partie du questionnaire portait sur des questions relatives aux besoins physiologiques et plus particulièrement à la santé physique et à la santé financière des auxiliaires de vie face à cette situation de crise. Les résultats de notre enquête montrent l’inquiétude des auxiliaires de vie au sujet de leur situation financière : seulement 36% d’entre eux sont sereins concernant celle-ci. De manière encore plus marquée, 75% de ces personnes pensent que, compte tenu des risques pris en continuant de travailler face à cette situation, leur salaire n’est pas satisfaisant.
Au delà des problèmes financiers, c’est aussi et surtout l’impact du virus sur la santé des auxiliaires et celle de leurs proches qui les préoccupe. Seulement un quart des répondants sont confiants sur le fait de ne pas mettre en danger leur santé et celle de leurs proches. Dans les témoignages, ce sentiment de peur est présent, les auxiliaires sont inquiets à l’idée d’être un jour contaminé puis de transmettre ce virus aux membres de leurs familles.
Protéger les auxiliaires de vie pour qu’ils puissent faire leur travail dans de bonnes conditions permettrait de les rassurer. Cependant, parmi les personnes ayant répondu à ce questionnaire, plus de la moitié ne dispose pas de matériel en quantités suffisantes : « Angoisses, inquiétudes face au manque de matériel : pas de masque ffp2, pas de surblouse ni de charlotte, pas de gants……«
“On travaille avec la peur au ventre d’attraper le virus et de le ramener chez soi." Auxiliaire de vie anonyme
Les résultats de cette enquête au sujet de la santé morale et psychologique des auxiliaires de vie face à cette crise sanitaire alertent tout autant : « C’est surtout un impact psychologique. Difficile de se vider la tête et prendre du recul. Cette situation est anxiogène aussi bien pour nous que pour les bénéficiaires et leurs proches. Et l’après est aussi inquiétant » raconte un auxiliaire de vie.
"Psychologiquement c’est épuisant cela se rajoute sur la fatigue physique. Il faut rassurer les gens, les réconforter, être positif, pas toujours facile quand nous même on est dans l’incertitude, dans l’anxiété." Auxiliaire de vie anonyme
Les résultats de cette enquête sont clairs : la satisfaction des besoins physiologiques des auxiliaires de vie est dégradée par la crise liée au Covid-19. Aujourd’hui, il est possible et surtout nécessaire de pallier à cela, notamment en appliquant une des quatre propositions de la pétition « Nous auxiliaires » : inscrire les auxiliaires de vie dans les répertoires nationaux des professions de santé. Les différents acteurs concernés doivent se mobiliser car cela permettrait, entre autres, aux auxiliaires de vie de disposer du même niveau de priorité pour le matériel de protection.
Face à la crise, les auxiliaires de vie manquent de soutien et demandent que l’on reconnaisse l’importance de leur métier
Les témoignages des auxiliaires récoltés lors de notre enquête montrent que dans la plupart des structures la qualité des relations employeur-salarié a été impacté négativement par la crise : “Les bureaux continuent de ne pas prendre en compte nos avis, il n’y a que l’argent qui compte.”.
Cette enquête fait clairement apparaître que, dans de nombreux cas, les auxiliaires se sentent seuls. Parmi les verbatims, on note un manque de soutien, d’écoute et de communication de la part de l’équipe encadrante. Ce manque de dialogue social impacte fortement les conditions de travail des auxiliaires et cela se ressent encore plus dans un contexte de crise où la communication et le soutien entre personnes d’une même organisation doivent primer.
A la question suivante : “Face à cette situation, je dispose des informations nécessaires pour travailler en sécurité”, 45% des auxiliaires répondent qu’ils ne sont pas d’accord. On remarque que, pour un certain nombre d’auxiliaire, la confiance ne règne pas toujours dans leur environnement de travail, et que face à cette crise les auxiliaires en souffrent davantage. « Nous ne sommes pas au courant des éventuels cas de contaminations concernant les autres salariés et les bénéficiaires » témoigne un auxiliaire de vie.
"Le mépris entre les bureaux et les agents est encore plus flagrant en temps de crise...." Auxiliaire de vie anonyme
D’autre part, à la lecture des témoignages des auxiliaires de vie, ce qui est très frappant c’est le nombre de fois où le mot “reconnaissance” et plus particulièrement le nombre de fois où la notion de manque de reconnaissance est abordé. Plus de 55% des auxiliaires de vie ne se sentent pas concerné lorsque l’on remercie et applaudit le personnel soignant, alors qu’ils sont en première ligne face au virus pour accompagner les plus vulnérables. Nous savons que l’accompagnement à domicile est indispensable pour les personnes âgées dont la famille est impuissante et/ou pas formée.
Parmi les 1 100 auxiliaires de vie qui ont répondu à ce questionnaire, plus de 70% n’ont pas le sentiment que la société prend conscience de l’importance de leur métier. A travers leurs témoignages, les auxiliaires de vie demandent à l’unisson à ce que l’on reconnaisse enfin l’utilité de leur métier.
"Nous somme oubliés du système d’habitude mais avec cette crise sanitaire cela se ressent plus…et démotive fortement." Auxiliaire de vie anonyme
Dans ce contexte, les auxiliaires de vie déplorent un manque de soutien à la fois de la part de leur entourage professionnel mais aussi de la part de la société. Cela prendra du temps, mais un changement des mentalités concernant l’importance du métier d’auxiliaire de vie doit impérativement s’opérer. Cette crise sanitaire serait-elle l’élément déclencheur pour que nous posions tous un nouveau regard sur ces professionnels de l’accompagnement ?
Malgré la crise, les auxiliaires de vie sont soudés et se sentent à leur place en faisant ce métier
Près de 70% des auxiliaires de vie sont d’accord avec le fait que malgré la crise, il y a de la solidarité entre collègues et confrères. De plus, 89% sont d’accord avec le fait que leurs relations avec leurs bénéficiaires restent de bonnes qualité et 86% sont d’accord avec le fait que leurs proches reconnaissent l’utilité de leur travail. Les résultats de cette enquête montrent que, malgré la crise sanitaire, les auxiliaires de vie maintiennent de bonnes relations avec leurs familles, leurs proches ainsi que leurs bénéficiaires.
"Notre équipe se trouve plus soudée, nous échangeons régulièrement sur certaines difficultés du terrain." Auxiliaire de vie anonyme
Cette enquête se termine par trois questions relatives aux besoins d’accomplissement. Cette dernière et cinquième dimension permet de clore notre propos par une note positive. Malgré les difficiles conditions dans lesquelles les auxiliaires de vie exercent actuellement leur travail, 94% d’entre eux sont fiers de leur métier. Malgré ce qu’ils endurent en ces temps de crise, 84% des auxiliaires qui ont répondu à notre enquête ont envie de continuer à faire ce métier : “Nous sommes invisibles, mais j’aime mon métier !”
De plus, parmi ces 1 000 répondants, 95% se sentent à leur place en accompagnant les personnes les plus vulnérables pendant cette crise sanitaire.
"Les personnes âgées ont peur oui. Mais elles continuent de nous faire confiance et ça, c’est ma récompense. Je continuerai à les rassurer du mieux possible, avec humanité et mon coeur." Auxiliaire de vie anonyme
Malgré une dégradation de leurs conditions de travail en ces temps de crise, l’amour et la fierté que les auxiliaires de vie portent à l’égard de leur métier ne faiblit pas. Cependant, ils manquent de matériel, ils souffrent mentalement et psychologiquement, ils ne sont pas assez soutenus par leur entourage professionnel mais aussi, et surtout, leur métier n’est pas assez reconnu par la société dans son ensemble. Les résultats de cette enquête démontrent qu’il est grand temps de remédier à ces manquements. C’est dans cette logique qu’à travers la création d’une pétition, nous avons formulé 4 propositions pour qu’enfin les choses changent.