Témoignage du Foyer de vie "La Maison d’Eole" : vers un nouveau paradigme dans les établissements médico-sociaux ?
Face aux difficultés rencontrées par ses équipes, Luc Lafond, Directeur du foyer La Maison d’Eole à Versailles, a opté pour un changement profond dans l’organisation de son établissement, en donnant plus d’autonomie à chaque professionnel. Le foyer d’Eole, qui compte aujourd’hui plus de 30 résidents, est un foyer de vie pour adultes handicapés mentaux avec troubles associés. Pour Luc et ses équipes, ce fonctionnement en équipes à responsabilités partagées s’est révélé être la clé d’une meilleure qualité de vie au travail et d’une prise en charge des résidents plus bientraitante.
Luc Lafond, Directeur, Yannick, Responsable restauration et hygiène et Coralie, Aide médico-psychologique au Foyer d’Eole, nous racontent cette transformation vécue de l’intérieur : constat, projet, mise en œuvre et bénéfices d’un fonctionnement horizontal à responsabilités partagées.
D’une structure hiérarchique classique à un établissement à responsabilités partagées
Compani : Quel a été l’élément déclencheur qui vous a mené à une restructuration profonde de votre établissement ?
Luc : En 2017, j’étais arrivé dans une situation d’un établissement classique, dont les financeurs et le conseil d’administration fonctionnaient très bien, avec des bonnes procédures, pas d’événements indésirables, mais en tant que directeur, j’avais une forme d’insatisfaction, un établissement qui atteint un peu son plafond de verre, qui affronte les difficultés du quotidien, les rendez-vous oubliés, toutes les petites choses qui n’allaient pas. Et puis classiquement, une équipe d’agents qui étaient dans des formes de plaintes : « on n’est pas assez considérés », « on ne nous écoute pas », et donc du coup des cadres qui sont sur un discours où on leur répète tout le temps les mêmes choses et il n’y a rien à faire… »
Compani : Pouvez-vous nous présenter les difficultés majeures rencontrées avant cette transformation ?
Yannick : Avant, quand je venais au travail j’avais un peu la boule au ventre, il y avait souvent des conflits. Quand je disais quelque chose aux maîtresses de maison, elles m’envoyaient balader directement. Pour discuter, c’était très dur.
Compani : En quoi consiste la transformation organisationnelle en équipes à responsabilités partagées ?
Luc : En une phrase, la transformation organisationnelle consiste à lever tout ce qui peut être contrôle inutile et donner un maximum d’autonomie aux équipes, ce qui implique pour la direction de repenser complètement son rôle, voire même son existence. Dans la pratique, cela passe par un accompagnement de l’équipe de direction pour la mise en place de la transformation, puis en parallèle de l’accompagnement des équipes, avec une approche coaching.
“Avant, quand je venais au travail j’avais un peu la boule au ventre, il y avait souvent des conflits.” - Yannick
Un fonctionnement plus collaboratif : quels bénéfices pour les salariés et les résidents ?
Compani : Qu’est-ce que cette transformation a changé dans la façon dont vous vivez votre métier ?
Luc : Aujourd’hui, j’ai des gens heureux de venir au travail, j’ai une vraie relation de confiance avec les équipes. Les discours du type « on ne nous reconnaît pas » ont complètement disparu, les postures faciles du type « ils ne se rendent pas compte de ce qu’on vit sur le terrain » ont complètement disparu aussi. Donc sur le plan des relations humaines, c’est nettement plus riche. Et puis on observe aussi des chiffres concrets : un absentéisme et un turn-over au plus bas, ce qui montre l’engagement des équipes. Enfin, sur le plan humain, on en retire quelque chose de beaucoup plus satisfaisant.
Yannick : Les responsabilités partagées, ça m’a apporté beaucoup de confiance en moi, ça m’a appris à m’ouvrir aux autres. En équipe, ça nous a appris à nous mettre autour de la table, à discuter, à trouver des solutions à tous les problèmes qu’on avait. Là, chacun travaille plus en équipe, les employés s’arrangent pour les week-end, ils sont plus ouverts à la discussion.
Coralie : J’ai vu ce changement en Établissement à Responsabilités Partagées, et depuis je m’occupe des plannings de toute l’équipe sur mon étage. Sur chaque étage, on a une personne au planning, une personne au recrutement, et ensuite vous avez des référentes pour tout ce qui est bientraitance, vie affective et sexuelle, pour à peu près chaque étage. Ce qui est hyper agréable, c’est de pouvoir travailler en confiance et qu’on nous laisse gérer notre façon de travailler, de nous organiser.
Compani : En quoi la mise en place des responsabilités partagées a eu un impact sur la prise en charge des bénéficiaires ?
Coralie : Le fonctionnement par étage fait qu’on est des figures référentes pour les résidents, ils savent à qui s’adresser, et ont rapidement une réponse. Quand ils ont des demandes diverses, on peut nous-même leur apporter la réponse, donc c’est quand même sécurisant, parce qu’ils se disent qu’ils sont bien pris en charge. Et de ce fait, les résidents sont beaucoup plus apaisés, il n’y a pas photo.
“Aujourd’hui, j’ai des gens heureux de venir au travail, j’ai une vraie relation de confiance avec les équipes.” - Luc
Un message à tous les établissements médico-sociaux qui ont envie de se lancer
Luc : Il suffit d’oser, et d’accepter la bascule personnelle que ça peut demander. Je ne pourrais pas retravailler dans un établissement hiérarchique classique. J’y retrouverais trop de côtés désagréables que je ne connais plus du tout aujourd’hui, même si tout n’est pas rose et facile dans ce mode de fonctionnement, en tout cas humainement, ça permet un alignement entre ses valeurs, ce qu’on est, et ce qu’on fait dans sa pratique quotidienne.
Coralie : Cette façon de fonctionner fait peur parce que c’est rassurant pour des professionnels d’être encadrés, parce qu’on se dit qu’on est soutenus, la direction est là et c’est rassurant. Mais finalement, on n’est pas moins considéré de par cette manière de travailler, on est toujours autant soutenus, et en plus on travaille plus sereinement, donc je pense qu’il y a tout à gagner à travailler comme ça. On se dit « on est quelqu’un, on n’est pas juste un salarié, on n’est pas juste là pour faire notre travail », on est un peu plus, on est un petit maillon de la chaîne qui est importante.
Yannick : Il ne faut pas avoir peur de se lancer. Dans la vie, on a toujours peur du changement, mais là, ça a changé pour un plus dans ma vie, aussi bien au travail que dans ma vie personnelle. Ça a des répercussions partout. Je suis plus ouvert à la discussion, j’ai une approche différente des choses. Revenir en arrière, je crois que je ne pourrais pas du tout.
“Ça a changé pour un plus dans ma vie, aussi bien au travail que dans ma vie personnelle.” - Yannick
Le nouveau paradigme adopté par le foyer de vie pour adultes handicapés la Maison d’Eole semble aujourd’hui être une réponse encourageante aux difficultés rencontrées par les équipes avant la transformation. Il apparaît en effet que si le changement fait peur de prime abord et nécessite l’adaptation et l’implication du dirigeant et de l’ensemble des salariés, l’impact positif sur la qualité de vie au travail et la prise en charge des résidents est sans appel. La confiance et l’autonomie données à chaque professionnel permet une valorisation des différents métiers qui coexistent au sein du foyer de vie ainsi qu’un accompagnement plus humain et bientraitant auprès des résidents.
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